Droit du travail et Loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : précisions sur les congés imposés, la durée du travail et l’activité partielle.

27 mars 2020

Faisant immédiatement suite à la Loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 du 23 mars 2020, quatre textes réglementaires modifiant le Code du travail sont parues ce jeudi 26 mars 2020 au Journal Officiel.

Il s’agit de :

  1. L’ordonnance n° 2020-322 du 25 mars 2020 modifiant les conditions et modalités de versement :
  • du complément de salaire versé par l’employeur en cas d’arrêt maladie ;
  • de l'intéressement ;
  • de la participation.
  1. L’ordonnance n° 2020-324 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de revenus de remplacement (allocations-chômage).
     
  2. L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de :
  • congés payés ;
  • durée du travail ;
  • jours de repos.
  1. Du décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l'activité partielle.

Les deux premiers textes ne devant a priori pas susciter de contentieux important, seuls seront analysés dans cet article les deux derniers textes.

Mais revenons d’abord sur les circonstances qui ont permis à ces mesures d’aboutir.

Pour rappel, ces textes ont été émis comme l’indique la Loi d’urgence du 23 mars 2020 « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation ».

Si l’objet même de cette loi est claire et renvoie à « l’état d’urgence sanitaire », les juristes minutieux, auront remarqué qu’aucun terme précis n’a été fixé.

L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré en cas de « catastrophe sanitaire », notion plus que vague au demeurant, et permet de prendre des mesures exceptionnelles, par simple voie d’ordonnance, auxquelles il est mis fin sans délai « dès lors qu’elles ne sont plus nécessaires ». (Pour les ordonnances en droit du travail, un projet de loi de ratification doit être déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance)

Bien qu’il soit raisonnable de penser que l’urgence renvoie à l’exception, qui n’a pas donc pas vocation à être permanente, de nombreuses critiques s’étaient élevées face au refus d’inscrire dans la loi une date butoir tant les mesures mises en place, dans de nombreuses matières, chamboulent l’état de droit que nous connaissons.

En définitive, le débat est clos, en droit du travail en tout cas puisque les textes réglementaires qui nous intéressent énoncent expressément qu’ils ne s’appliquent pas « au-delà du 31 décembre 2020 ».

 

I – Les modifications apportées en matière de congés payés, jours de repos et durée du travail.

 

I – 1. Congés payés

Il est permis, par accord d'entreprise ou, à défaut, de branche, d'autoriser l'employeur, d'imposer la prise de congés payés ou de modifier les dates d'un congé déjà posé, dans la limite de six jours ouvrables, soit une semaine de congés payés, en respectant un délai de prévenance d'au moins un jour franc (contre un mois auparavant).

Ces modifications qui nécessitent la négociation d’un accord doivent donc se faire à travers le dialogue social.

Une fois l’accord en vigueur, l'employeur pourra donc imposer le fractionnement des congés payés même sans l'accord du salarié, suspendre temporairement le droit à un congé ou dissocier les dates de départ en congés.

Les congés payés impactés par les modifications de l’employeur sont ceux « acquis par un salarié, y compris avant l'ouverture de la période au cours de laquelle ils ont normalement vocation à être pris ». (Attention, il faut distinguer la période d’acquisition des congés et la période de prise des congés. A défaut d’accord collectif la période d’acquisition débute le 1er juin de l’année de référence pour s’achever le 31 mai de l’année suivante ; la période de prise des congés peut être fixée par l’employeur après avis du comité social et économique mais doit comprendre dans tous les cas la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année.)

En somme, à défaut d’accord spécifique modifiant la période d’acquisition ou de prise des congés, il s’agit des congés payés acquis avant le 31 mai 2020.

Les congés acquis à compter du 1er juin 2020, devant être pris l’année suivante ne sont donc pas en principe concernés.

 

I – 2. Les autres jours de repos

Pour les autres types de congés, l'employeur n'est pas soumis à la signature d'un accord collectif.

Sous préavis d'un jour franc, il pourra imposer ou modifier « unilatéralement » les dates de RTT, les jours de repos prévus par les conventions de forfait et les jours de repos affectés sur le compte épargne-temps (CET) du salarié.

Pour ce dernier cas, l’employeur pourra donc décider que le salarié prenne ses congés au lieu de le lui rémunérer à travers son CET.

Le texte précise que l'employeur peut imposer ou modifier la prise de congés dans la limite de 10 jours et sur une période qui ne pourra pas aller au-delà du 31 décembre 2020.

 

I – 3. Durée du travail

De manière temporaire et exceptionnelle, les « entreprises des secteurs jugés essentiels à la continuité de la vie économique et à la sûreté de la Nation » (la liste sera précisée par un décret en cours d’élaboration mais sont notamment visés les transports, la logistique, l’agroalimentaire, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications), pourront déroger aux règles d'ordre public en matière de :

  • durée quotidienne maximale de travail
  • durée quotidienne maximale accomplie par un travailleur de nuit
  • durée du repos quotidien
  • durée hebdomadaire maximale absolue et moyenne
  • durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit.

Aucune précision n’est apportée sur l’application de ces dérogations aux règles sectorielles qui peuvent prévoir une durée de travail moindre et un temps de repos plus favorable que les règles d’ordre public.

Le principe du repos hebdomadaire demeure inchangé mais il existe des dérogations au repos dominical pour les entreprises concernées, permettant ainsi aux entreprises concernées de fonctionner tous les jours.

Des dérogations existent d’ores et déjà en temps normal, l’ordonnance permet néanmoins un assouplissement de celles-ci.

Tout employeur faisant usage d'au moins une des dérogations admises devra en informer « sans délai » le comité social et économique ET l’inspection du travail.

 

I – 3.1. Durée maximale quotidienne

Elle passe de 10 heures à 12 heures pour les salariés de jour et de 8 heures à 12 heures pour le travail de nuit, à condition pour ce dernier cas d’attribuer un repos compensateur égal au dépassement de la durée.

La durée du repos quotidien entre deux journées de travail peut être réduite de 11 heures en temps normal, à 9 heures, sous réserve de l'attribution d'un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n'a pu bénéficier.

I – 3.2. Durée maximale hebdomadaire

Le gouvernement permet aux entreprises de déroger plus facilement à la durée du travail jusqu’à 60 heures par semaine dans certains secteurs.

En outre, la durée de travail moyenne sur 12 semaines pourra passer à 48 heures (contre 44 heures aujourd'hui) ; pour les travailleurs de nuit, cette durée passe de 40 à 44 heures.

Si c’est différentes mesures étaient attendues par les entreprises connaissant un pic d’activité, celles contraintes de fermer ou impactées économiquement par les restrictions de l’état d’urgence sanitaire devront recourir à l’activité partielle dans les conditions développées ci-après.

 

II – L’assouplissement de la mise en place de l’activité partielle

Là encore, le gouvernement a amendé et facilité le recours à un dispositif qui existait déjà : toute entreprise dont l’activité est réduite ou arrêtée pouvant mettre tout ou partie de son personnel en activité partielle (ex chômage partiel).

 

II – 1. Comment mettre en place l’activité partielle

L'employeur peut désormais d’abord placer ses salariés en activité partielle et seulement ensuite adresser sa demande à l’administration dans un délai de 30 jours lorsque la demande est justifiée par un motif de circonstances exceptionnelles.

La consultation des instances représentatives du personnel qui peut avoir lieu a posteriori de la demande faite à l’administration et l’avis des IRP doit être envoyé dans un délai maximal de deux mois.

L’acceptation implicite de l’administration passe de 15 jours à un délai réduit à l’extrême de 2 jours.

En cas d’autorisation exprès, celle-ci peut être accordée pour une durée de 12 mois au lieu de 6 en temps normal.

 

II – 2. Conséquences du recours à l’activité partielle

Côté salariés, ces derniers percevront au minimum 70 % du salaire brut, soit environ 84 % du salaire net ; cette indemnité est de 100% pour les salariés au SMIC.

Les salariés à temps partiel percevront 100 % de la moitié du SMIC (et non pas 84 % comme aujourd’hui).

Pour les employeurs, les sommes versées à ce titre sont intégralement prises en charge par l’Etat dans la limite de 4,5 SMIC. Au-delà, le financement sera à la charge de l’employeur.

Les employeurs peuvent donc tout à fait verser, aux salariés dont la rémunération ne dépasse pas le plafond évoqué, la totalité de leur salaire sans être impactés économiquement à long terme.

Bien que le décret relatif à l’activité partielle ne le mentionne pas, il est prévu d’ouvrir ce dispositif à certains salariés non concernés jusqu’ici, ceux de la RATP, la SNCF, les assistantes maternelles, les emplois à domicile, les VRP et les cadres en forfait-jours.

 

En définitive, les circonstances exceptionnelles que nous vivons exigent des réponses équivalentes dans des cas de figure précis.

En droit du travail, les mesures de facilitation de la mise en place d’une activité partielle permettront certainement de préserver les entreprises et l’emploi.

Mais les mesures permettant l’imposition des congés et l’allongement de la durée du travail ont du mal à remplir ces objectifs, d’autant que la mise au repos forcé des salariés peut être fait simplement à travers l’activité partielle.

Des risques d’abus important existent.

En effet, le terme de ces mesures d’exception est fixé au 31 décembre 2020 soit dans plus de 9 mois. D’ici là, les règles introduites par les ordonnances pourront s’appliquer avec vigueur.

En outre, les postes les plus impactés par l’augmentation du temps de travail concernent souvent les salariés les plus fragiles. Leur état de santé, déjà menacé par le Covid-19, le sera d’autant plus en raison de la fatigue accumulée les prochaines semaines.

Enfin, il faudra espérer une vigilance accrue de l’administration dans le contrôle des entreprises ayant recours à l’activité partielle qui souhaiteraient continuer à faire travailler leurs salariés.

Il faut donc espérer que dans la majorité des cas, les mesures exceptionnelles permises en temps de crise soient maniées avec équilibre et une bienveillance, réelle et non de façade, pour préserver les conditions de travail des salariés.

 

Anthony CHHANN
Avocat au Barreau de Paris